Question:
Accorder son pardon à quelqu’un qui ne l’a pas demandé serait un excès de grâce ?
Réponse:
Il est vrai que cette manière de présenter le pardon, qui dépend non pas de l’offensé mais de l’offenseur, sort de la manière habituelle de considérer ce sujet. La démarche du pardon est suffisamment complexe et importante pour que l’on s’y intéresse en détail.
Le Nouveau Testament compare plusieurs fois l’offense à une dette à régler (Mt 6.12; Lc 11.4), notamment dans la traduction NBS qui fait ressortir le double sens des mots « remettre » une offense et « remettre » une dette. Jésus utilise aussi cette comparaison (Mt 18.21-35).
Il est vrai que toute offense est avant tout une offense contre Dieu, même si d’autres parties humaines sont lésées. Des textes comme Actes 5.1-11 (mensonge) ou Psaume 51.6 (meurtre) montrent que le premier offensé est Dieu, car sa loi n’est pas respectée (1 Jn 3.4).
Toutefois, il y a aussi un contentieux, une dette contractée par l’offenseur envers la personne offensée. Il est vrai que le modèle de pardon est le modèle divin, sachant que Dieu désire pardonner (Né 9.17; Ps 86.5; Ez 18.23,32; 33.11; Lm 3.31-33). Nous sommes ainsi invités à pardonner parce que Dieu nous a fait grâce (Mt 18.21-35; Ep 4.32-5.1; Col 3.13).
Toutefois, si nous voulons être plus précis, nous pourrions dire que l’offense a deux effets:
1) Il s’agit d’un péché, et seul Dieu peut le pardonner (Lc 5.20-21; voir aussi Ps 103.3; Es 43.25).
2) Elle crée une dette entre deux personnes et ce que nous appelons pardon est en fait la remise de cette dette. Il n’y a pas de problème à l’appeler pardon, mais cette distinction aide à mieux cerner notre démarche.
Le rôle de l’offensé est donc de remettre cette dette.
En suivant le modèle divin (Jé 36.1-3), Jésus invite donc au pardon, à remettre la dette qui existe entre l’offenseur et l’offensé: Le texte de Luc 17, 3 est important:
« Si ton frère a péché, reprends-le, et, s’il se repent, pardonne-lui. » (Version dite « à la Colombe »)
Comme Dieu a tout fait pour qu’il y ait pardon, l’offensé doit lui aussi tout mettre en œuvre pour qu’il y ait pardon. Il doit donc être prêt à accorder le pardon de tout son cœur, sans arrière-pensée, sans essayer d’utiliser un avantage à cause de l’offense faite et choisir de ne plus rappeler la faute, même s’il peut être tenté de le faire.
Cette préparation peut prendre du temps lorsque l’offense est sérieuse et lorsque la personne lésée subit de lourdes pertes (matérielles, morales, affectives, physiques). Cette démarche reste néanmoins impérative et il est parfois nécessaire de se faire aider pour la vivre.
On désigne parfois ce processus comme « pardonner dans son cœur ». L’offensé s’en remet à Dieu et accepte les conséquences de la faute subie, ce qui lui permet d’être libéré du poids de la rancune, du désir de vengeance, de l’amertume et de tout ce qui peut nuire à la relation.
Pour autant, la dette n’est pas remise entre les deux personnes. Si l’offenseur refuse de reconnaître ses torts, refuse de se repentir, l’offensé est libéré par sa démarche de « pardon dans son cœur », il a fait toute la démarche concernant le pardon. Mais la dette demeure entre ces deux personnes. Comme la dette reste vis-à-vis de Dieu tant que l’être humain n’a pas demandé pardon, bien que Dieu ait tout accompli pour que le pardon soit possible.
En conclusion de cette longue réponse, nous pouvons dire:
1) La démarche de pardon de la personne offensée est indépendante de l’attitude de l’offenseur. Toute personne offensée doit pouvoir être prête à accorder le pardon à l’offenseur, même si cela prend du temps. En ce sens elle a « pardonné », elle est prête à remettre la dette de la personne qui lui a causé du tort.
2) Tant que l’offenseur ne sera pas passé par la repentance, tant qu’il n’aura pas pris conscience de la gravité de la faute et des dégâts causés chez la personne offensée, la dette entre les deux personnes ne sera pas remise et le « pardon » ne sera donc pas effectif. En ce sens, il ne peut y avoir « pardon », au sens de la remise de la « dette » entre deux personnes, tant que l’offenseur n’aura pas reconnu ses torts. Mais la personne offensée est libre vis-à-vis de l’offense subie.
Cette démarche permet de reconnaître qu’il y a bien eu offense et de ne pas minimiser le péché (au détriment des deux parties). Cela rappelle aussi que l’offense est une chose sérieuse, qu’il ne faut pas minimiser. Enfin, l’offenseur peut lui aussi être pleinement soulagé et restauré, but de tout pardon.
Frère Olivier
Cellule COM AJCAN